Comment décider ?

  • Étienne Perrot, L’art de décider en situations complexes, DDB, 2007, 288 pages, 28€

La question est essentielle : comment bien décider ? L’art de décider est un des savoir-faire les plus cruciaux des dirigeants, et, assez étonnamment, il est peu enseigné dans les écoles qui préparent à ces fonctions. Il faut donc s’y former par soi-même.

Maintenant, si beaucoup de livres traitent de la question, peu sont vraiment pertinents, et les deux meilleurs sont épuisés : le fameux Russo et Schoemaker (Les chausses-trappes de la prise de décision) et le petit manuel du professeur Robbins (Prenez la bonne décision). Il reste la section consacrée à la décision dans le manuel du même Stephen Robbins (Management, 4e édition) – mais c’est un peu court – et l’excellent essai de Christian Morel sur les Décisions absurdes – mais dont la dimension pratique reste limitée.

De plus, ces ouvrages de référence manquent tous un aspect du problème, à savoir la dimension éthique de la prise de décision. C’est là qu’on attendait Étienne Perrot, économiste et jésuite.

Mais j’avoue, au terme d’une lecture laborieuse, n’avoir rien compris à ce livre. Ni sur les enjeux de la prise de décision. Ni sur les techniques existantes pour l’améliorer. Ni sur la dimension éthiques. L’auteur, toujours brillant, va d’une référence à l’autre, parcourt le paysage dans toutes les directions imaginables, produit mille idées brillantes ; mais j’ai eu beau faire, je n’en ai rien tiré de concret.

S’il n’y avait qu’une chose à conserver, c’est une citation de Ricœur : « Je propose la définition suivante de l’ethos : souhaite d’une vie accomplie – avec et pour les autres – dans des institutions justes. » En quelques mots, tout est dit. Cette phrase est à méditer et à re-méditer.

Je reviens à la question de la prise de décision. Tout d’abord, la question de la prise de décision se pose parce que la situation est complexe : différentes valeurs indiquent des voies opposées, les enjeux des personnes impliquées divergent, l’avenir est toujours incertain, les conséquences ultimes sont imprévisibles… Sinon, la décision ne fait pas question. Donc on part d’une situation a priori non démêlable. Les modélisations et les techniques d’aide à la décision restent alors tributaires des données que l’on fournit à ces systèmes et des paramètres retenus : in fine, la décision repose sur une appréciation prudentielle. Étienne Perrot est très clair sur ce point, avec raison.

Venons-en au processus de décision lui-même :

1.

Il faut d’abord évaluer la situation. Là, les techniques qui permettent de contourner les biais cognitifs sont essentielles : il est indispensable de les prendre en compte pour ne pas se laisser emporter dans une décision prise a priori mais inconsciemment, et qui dirige tout le processus ensuite pour s’auto-valider. C’est là que les manuels classiques que je citai au début sont pertinents.

Une autre technique, plus originale mais qui repose ultimement sur les mêmes bases psychologiques, est celle des « six chapeaux de la réflexion » d’Edward de Bono. Le principe reste de déjouer les plis automatiques de la réflexion pour arriver à une meilleure objectivité.

Il faut donc prendre en compte les faits avec autant d’objectivité que possible et en tâchant de n’en écarter aucun qui pourrait être pertinent.

2.

Il faut également prendre en compte personnes impliquées, leurs objectifs et leurs émotions – y compris soi-même.

3.

Il faut aussi considérer le contexte : le cadre légal, la déontologie, les pratiques usuelles, les enjeux externes mais liés, les valeurs qui comptent… Ce sont les bornes qui bordent le champ de la décision.

4.

Dans le même ordre d’idées, il est important de vérifier le champ des responsabilités. Le choix qui se présente est-il de son ressort, de celui d’un échelon subalterne, de celui d’un échelon supérieur ? Et s’il ne dépend pas de soi mais qu’il s’agit de choses graves et que l’on se trouve impliqué par sa présence ou sa connaissance du problème, doit-on pourtant agir ? Dans quelle proportion ?

5.

J’ajoute à cela le cadre temporel et budgétaire de la prise de décision : de combien de temps et de quels moyens dispose-t-on pour décider ? Dans les situations d’urgence, c’est même le premier aspect à considérer.

6.

L’étape suivante est la détermination des objectifs primaires et secondaires. C’est le second point crucial du processus de décision après celui des biais cognitifs. C’est là qu’intervient l’éthique, car qui dit objectif, dit finalité, dit éthique.

Concrètement, si l’on prétend dissocier décision et éthique, cela signifie simplement que l’on n’éclaircit pas les fondements moraux sur lesquels on s’appuie ; en général, ce sera un utilitarisme caché qui servira de guide. Toute prise de décision a une dimension éthique, qu’on le veuille ou non.

Il faut donc mettre en lumière ses propres objectifs, c’est-à-dire le bien visé, et je renvoie à la citation de Ricœur pour les critères de ce bien.

7.

Sur ces bases, il est possible de proposer des options d’action. Pour chaque option, on peut alors considérer les conséquences prévisibles et les risques associés. Les options s’évaluent alors par rapport aux objectifs et au contexte, ce qui permet de trancher.

Voilà en quelques mots ce qu’on serait en droit d’attendre d’un bon manuel de décision. À ma connaissance, un tel ouvrage n’existe pas. J’espère qu’un professionnel qualifié remédiera à ce manque.

Guillaume de Lacoste Lareymondie