Lumière d'Érasme

  • Stephan Zweig, Érasme, Grasset, 1935

Zweig écrit son Érasme en 1935 comme un vis-à-vis de sa propre situation d'intellectuel cosmopolite face à la barbarie qui déferle en Allemagne. Son portrait de l'humaniste fameux est de parti pris : il le dresse sous l'angle du conflit tragique qui l'oppose à Luther, et néglige toute autre dimension. De la foi sincère d'Érasme, de ses travaux d'exégète qui renouent avec la patristique, de son influence sur l'éducation et les mœurs, il est à peine question. De même, son tableau d'un Luther fanatique et sanguinaire est à charge, excessif. À tort, certes.

Pourtant, cette biographie engagée n'en perd pas son acuité. La lutte formidable entre les deux géants que furent Érasme et Luther est à elle seule un gisement d'enseignements pour toutes les générations, et Zweig sert cette mémoire. De quoi s'agit-il ? De l'esprit d'humanité et de paix d'une part, et de l'esprit dogmatique et intolérant d'autre part. Et de la victoire temporelle du second, qui n'empêche pas la victoire spirituelle du premier.

Qu'on n'aille pas croire que la leçon de Zweig attente à la foi. Érasme incarne un fait crucial : une foi profonde, habitée, mûrie, vécue sans compromis, est en même temps paisible, longanime, bienveillante et ouverte. Au contraire, l'intolérance est la protection d'une croyance faible, et le fanatisme le repli d'une foi que tout menace. L'adhésion à l'enseignement de l'Église oblige à l'esprit de concorde, sans exclusive.

On retiendra aussi de ce livre de Zweig ces lignes admirables sur la violence :

La violence n'est pas en soi un danger social. Isolée, la violence a le souffle court [...] ; son jugement est borné et après quelques brusques explosions elle s'affaisse sur elle-même, impuissante. Même lorsqu'elle est contagieuse et soulève la foule en créant chez celle-ci une espèce de psychose, elle ne réussit à former que des bandes indisciplinées qui se dispersent dès que l'enthousiasme du début s'est refroidi. [...] Ce n'est que quand la violence se met au service d'une idée (ou que l'idée se sert de la violence) que se produisent les véritables "tumulti", les révolutions sanglantes et dévastatrices, car c'est grâce à un mot d'ordre que la bande devient un parti, à l'organisation qu'elle devient une armée, à un dogme qu'elle se transforme en mouvement. Ce n'est pas tant ce penchant que l'homme porte en soi qu'il faut rendre responsable de tous les grands conflits qui se sont produits au sein de l'humanité, mais bien plutôt l'idéologie qui le déchaîne et le pousse contre une partie de l'humanité. (p. 90)

Guillaume de Lacoste Lareymondie