À propos de l’art de diriger

  • Cardinal Mazarin, Bréviaire des politiciens, Arléa, 130 pages, 13 €
  • François Proust, Maximes à l’usage des dirigés et de leurs dirigeants, Rivages, 98 pages, 9,15 €
  • Auguste Detœuf, Propos de O.L. Barenton, confiseur, Éditions d’Organisation, 230 pages, 27,20 €
  • Steven Sample, The Contrarian’s Guide To Leadership, Jossey-Bass, 292 pages, 18 $

Ceux qui espéraient une belle langue classique seront déçus par l’opuscule de Mazarin : le livre est traduit du latin et rédigé dans un style fastidieux. Ceux qui attendaient des conseils pour les décideurs ou encore des réflexions sur la manière de conduire les affaires publiques, en seront aussi pour leurs frais. Mazarin ne donne ici qu’un manuel du carriériste sans scrupule.

L’ouvrage est construit sans ordre, d’un amas de notes aisément résumable. Le tout tient d’ailleurs en cinq lignes, que l’on trouve dans la conclusion : « 1. Simule. 2. Dissimule. 3. Ne te fie à personne. 4. Dis du bien de tout le monde. 5. Prévois avant d’agir » (p. 123). On le voit, le propos ne va pas loin et même, verse volontiers dans un cynisme de caricature. Le tableau au final — celui de l’homme qui veut réussir plus que tout — dépeint un individu préoccupé de lui-même, qui feint avec tout le monde, qui manipule chacun, et qui se garde de jouir de la vie de peur de présenter une faiblesse. Le bel avantage !

Il est remarquable que la plupart des conseils que donne Mazarin sur l’art de diriger ont été infirmés par la recherche récente sur ces matières. Les comportements qu’il préconise sont plutôt les signes pathologiques d’un amour excessif du pouvoir, et sont en tout cas nuisibles. Ainsi de la dissimulation des sentiments : « Dissimule tes sentiments, et même n’hésite pas à feindre des sentiments contraire. Dans l’amitié, pense à la haine ; dans la joie, au malheur » (p. 71) ; « Entraîne-toi à simuler chacun des sentiments qu’il peut t’être utile de manifester, jusqu’à en être comme imprégné. Ne dévoile à personne tes sentiments réels. Farde ton cœur comme on farde un visage » (p. 84). Ainsi de la défiance généralisée : « Agis avec tes amis comme s’ils devaient devenir un jour tes ennemis » (p. 121). Ainsi de l’usage forcené du mensonge. Etc.

Il faut encore souligner la morphopsychologie rudimentaire et ridicule qui accompagne ces préceptes : « Méfie-toi des hommes de petite taille : ils sont butés et arrogants » (p. 25) ; « La plupart des menteurs ont des fossettes aux joues quand ils rient » (p. 26)…

Quiconque est poussé par son caractère à se vouer entièrement à sa carrière appréciera certains conseils. Mais celui qui n’en a pas le tempérament se ridiculisera en voulant en porter les habits : il paraîtra simplement un prétentieux.

Bref, ce livre est inutile.

L’amateur de belles formules préférera la lecture des Maximes de François Proust. Plus récent, plus incisif, plus pertinent, son petit livre perpétue avec bonheur la tradition classique des aphorismes bien tournés et bien pensés. Citons : « La bonne idée est celle que le chef vous prend. Est malhonnête qui veut conserver ce qu’il est payé pour donner » (p. 12) ; « Si votre chef vous répond toujours non, changez de chef : il est plus facile de changer de chef que de faire changer le chef » (p. 47) ; « Abstenez-vous de désirer ce que vous n’avez pas, et vous ruinerez l’économie » (p. 55).

Dans la même veine, plus imposant et non moins plaisant, l’ouvrage de Detœuf reste une référence incontournable et un puits de sagesse. Le dirigeant français gagnera toujours à le méditer, tant il répond précisément aux faiblesses de notre tempérament national.

Enfin, pour ceux qui lisent la langue anglaise, le court livre de Steven Sample mérite qu’on s’y arrête. Chose rare, ce Californien témoigne d’un esprit tout européen. S’il emprunte beaucoup à Machiavel, la lecture qu’il en fait dépasse l’original. Ses réflexions sur l’art de diriger inspireront le décideur pour qui « être le chef » signifie d’abord « agir en chef ».

Guillaume de Lacoste Lareymondie