Une vie dans l’intimité de la Trinité

  • Conrad De Meester, Élisabeth de la Trinité : biographie, Les Presses de la Renaissance, 2006, 744 pages, 27€

La biographie complète de la bienheureuse Élisabeth de la Trinité manquait. Conrad De Meester, o.c.d., qui a dirigé la publication de ses œuvres complètes, vient d’y remédier avec cet ouvrage magistral autant que passionnant. Avec toute la rigueur possible, il retrace la vie de la carmélite dijonnaise qui est revenue « à la Lumière, à l’Amour, à la Vie » il y a tout juste un siècle. On suit de très près sa courte existence — depuis son enfance dans les milieux militaires au lendemain de la débâcle de 1870, jusqu’à la maladie qui l’emporta dans une agonie terrible à l’âge de 26 ans.

Que dire d’elle en quelques mots ? Sa prieure a rapporté cet échange qui eut lieu alors qu’Élisabeth était déjà au seuil de la mort : « À notre question, comment elle entendait “passer son éternité”, et si, à l’instar de la “Petite Thérèse” elle “redescendrait” sur la terre pour le bien des âmes, [elle répondit] : “Oh ! non, bien sûr, à peine sur le seuil du Paradis je m’élancerai comme une petite fusée au sein de ‘mes Trois’ [la Sainte Trinité], une Louange de gloire ne pouvant avoir d’autre place pour l’éternité ; et je m’y enfoncerai toujours davantage…” Puis, après une courte pause, les yeux clos, les mains jointes, elle ajouta : “Pourtant, si le bon Dieu m’accorde quelque crédit, il me semble qu’au ciel ma mission sera d’attirer les âmes dans le recueillement intérieur…” » Ces quelques propos résument toute sa vie.

Tout d’abord, sa vie est une fulgurance vers l’union totale à la Trinité. Très tôt, elle découvre l’oraison et décide d’en vivre, en union permanente avec le Christ, y compris dans le monde où sa mère la retient alors qu’elle se sent appelée au Carmel. Entrée au monastère, elle ne cesse de progresser intérieurement, malgré une période de nuit. Elle entre autant que l’humaine condition le permet dans le mystère de la Trinité. Sa vie alors est une prière continuelle, que les terribles douleurs d’une maladie incurable n’interrompront pas. Dans son agonie, elle s’identifie pleinement à son Époux divin en sa Passion. En un quart de siècle, Élisabeth est parvenue au sommet de l’union mystique, sans jamais dévier de son chemin.

Mais ce n’est pas tout. Si Élisabeth a pleinement vécu la spiritualité du Carmel, elle fut aussi une disciple de saint Paul. Ses écrits constituent un merveilleux guide de lecture pour comprendre de l’intérieur les grandes exclamations de l’apôtre. C’est ainsi qu’Élisabeth reprendra pour elle son invitation à devenir une louange à la gloire de Dieu (cf. Éphésiens I, 12) — elle en fera même son nom ! On ne méditera jamais assez l’importance de cette vocation.

Car, si Élisabeth a une mission pour aujourd’hui, c’est bien d’introduire à l’essentiel, la vie en Dieu. D’où l’appel au recueillement, qui est le fruit de cette existence pour ceux qui la découvrent.

En attendant le volume que Conrad De Meester promet sur la doctrine spirituelle d’Élisabeth, il faut se référer à l’admirable étude qu’en avait faite en son temps Hans Urs von Balthasar, Élisabeth de la Trinité et ma mission spirituelle (éd. du Seuil), et qui est le complément indispensable de la présente biographie. Car si sa vie fut édifiante et riche de leçons pour ceux qui veulent progresser dans l’amour de Dieu, le message d’Élisabeth n’en est pas moins important. Écoutons ici ce qu’en dit Balthasar : « La structure de son univers spirituel, le contenu et le style de sa pensée théologique, sont d’une densité, d’une consistance sans défaut. […] Élisabeth s’établit dans la pensée une et nécessaire où tout trouve pour elle sa place. […] Son univers est la vision définitive telle que la transmettent le mystère de saint Paul, le Logos et l’Apocalypse de Jean. […] Plus encore que dans l’ombre du mystère trinitaire, Élisabeth prend sa place dans l’ombre de l’Esprit-Saint qui illumine d’un rayon définitif les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption, qui donne à la Révélation de la Trinité dans l’histoire du salut sa glorification suprême. […] Sans détourner les yeux, sans être aveuglée, [elle] contemple la lumière centrale telle qu’elle resplendit dans “le grand mystère” annoncé par l’épître aux Éphésiens, et la récompense de cette persévérance, c’est que la lumière se révèle toujours plus clairement, moins dissimulée, avec plus de certitude et de hardiesse. »

La parution de cette belle biographie par Conrad De Meester est l’occasion de faire connaissance avec cette sainte et de la prendre comme guide pour progresser dans l’intimité avec le Dieu d’amour qui nous attend au profond de nous-même.

Guillaume de Lacoste Lareymondie